Un magnolia qui fleurit, l’herbe verte couverte d’un champ de pâquerettes, le soleil qui nous caresse et le chant des oiseaux qui nous berce. La nature sait prendre soin de nous avec douceur et délicatesse. Elle réveille nos sens, exacerbe nos envies de créer et aiguise notre envie d’entreprendre. Notre communion avec la nature est une voie vers la paix intérieure et notre harmonie avec l’univers. Le sol que nous foulons, à lui seul, en une seule petite poignée représente toute la symbiose cosmique de notre existence.
Un artiste en a fait une matière à penser et une voie de cheminement philosophique et spirituel. Il s’appelle Kôichi Kurita, il est japonais et a consacré sa vie à la terre, son symbolisme, son essence, son topos. Baigné dans la culture du bouddhisme et du shintô, propice à l’humilité et au dépouillement de l’expression de soi, il produit tous ses gestes en harmonie avec ces deux religions profondément ancrées dans la vie japonaise. De la forme du sable qu’il récolte à son installation, tout est étudié de façon à respecter la tradition et transmettre une sagesse, un enseignement. Il écrit1« En préférant le chiffre 108 au chiffre 100 et le chiffre 49 au chiffre 50, mon œuvre fait ainsi explicitement référence au bouddhisme : les 108 perles du juzu, le chapelet utilisé pour les prières, rappellent les 108 désirs mondains dont nous sommes pétris et, sur la voie de l’Éveil, l’étape 49 est celle de la sagesse-piété qui pénètre toute chose. Quand j’installe des carrés sur le sol, je me base sur une mesure de 3 x 3 pour composer des multiples – 9 x 9, ou 27 x 27 –, mesure qui reprend très clairement la structure même des mandalas. De même, je donne parfois à mes amas de terre une forme conique qui évoque le mont Sumeru2. Et, quand je dispose de la terre sur des feuilles carrées de papier japonais non blanchi, cette démarche se rattache évidemment au style du shintô ». Adoptant une démarche extrêmement épurée et éclairée sur le rôle de l’artiste dans la société, il rappelle que ce dernier doit se doter d’une forte aptitude à renoncer à ses idées préconçues pour arriver à présenter les choses telles qu’elles sont. Il propose ainsi d’appeler art : « ce qui se passe à l’instant où quelque chose vient irriguer, en profondeur, le cœur de celui qui découvre l’œuvre ».
Il insiste aussi sur la limite parfois des arts plastiques tant il est nécessaire pour lui que l’œuvre transpire, et respire la vie et le monde dans toute sa complexité. En racontant son cheminent et sa démarche artistique, Kôichi Kurita, évoque sa forte imprégnation de l’île nipponne où la notion du sol (do) et l’air (fû), en un mot (fûdo): sol et air, résume toute cette saveur de nuances chatoyantes que représente sa culture. Il écrit : « l’art nous permet d’échapper à la banalité du quotidien en explorant des dimensions et des espaces toujours propices à nous réveler et à révéler la complexité du monde. Le terme (fûdo) exprime notre symbiose avec la nature, l’art nous fournit l’occasion d’un tel éveil. ».
Sillonner le monde, observer les mouvements des marées, attendre les soirs de plaine lune pour ramasser des cailloux, se mettre en état de réceptivité cosmique par rapport à l’attraction lunaire, et ramasser des poignées de terre du monde entier : la substance la plus complexe et la plus proche de nous dans sa constitution, tant elle renferme nos mouvements, notre énergie, nos substances organiques et nos résidus civilisationnels. Voilà ce qu’a été jusqu’à présent l’entreprise fabuleuse de Mr Kurita.
Dans ses démarches philosophiques et artistiques, il entame aussi une démarche scientifique quand il observe l’univers, se met en réception cosmique, analyse le contenu de ses prélèvements, les travaille, les commente, les théorise et les classe.
En rencontrant l’artiste, ce dimanche 9 mars et en découvrant son œuvre à travers la bibliothèque de Terre exposée au domaine de Chamarande3, j’ai fait 2 jours plus tard la découverte d’un texte4 qui est venu cristalliser tous mes travaux et tous ces champs d’investigations que j’avais labourés, tournés, retournés et qui se voient rassemblés dans leur complexité grâce au liant de la transdisciplinarité.
La transdisciplinarité, concerne ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les disciplines et au delà des disciplines. Son but est de comprendre le présent à travers l’étude des interactions entre l’objet et le sujet, afin de voir émerger une nouvelle connaissance unificatrice. La transdisciplinarité emprunte une méthodologie axée sur 3 axiomes : l’axiome ontologique, l’axiome logique et l’axiome épistémologique, afin d’aboutir à l’émergence du Tiers Caché : « gardien de notre mystère irréductible, symbole du sacré qui assure la cohérence de l’ensemble des niveaux de réalité par leur interaction perpétuelle ». Comme le présente le physicien B.Nicolescu5, la notion de « Niveaux de réalité », est la notion centrale de la transdisciplinarité. « Les niveaux de réalité sont de véritables cosmos interconnectés ». « le tiers caché dans sa relation avec les niveaux de réalité est fondamental dans la compréhension de Unus Mundus…La réalité est Une , à la fois unique et multiple…La personne humaine, apparaît comme étant l’interface entre le monde et le tiers caché…L’élimination du tiers caché de la connaissance, signifie un être humain unidimensionnel, réduit à ses cellules, neurones, quarks et particules élémentaires»
Kôichi Kurita répète depuis 20 ans « En prenant pour thème « la diversité du monde », je vais continuer,à travers l’art, à transmettre la beauté sans fard et le prix inestimable de la terre qui se trouve là, sous nos pas. ». c’est une prise de conscience de la complexité du monde et de sa diversité. L’artiste y joue son rôle de passeur de sens, de signifiances, de sensations. Un médiateur entre le savoir et la connaissance.
Nous sommes aujourd’hui confronté à la nécessité d’un passage de sens entre le monde de la science qui accroit le savoir et le savoir-faire et celui de la non-rationalité (qui n’est pas l’irrationalité) ouvert à la connaissance de soi exhalée par l’expérience, spirituelle, artistique et poétique.
Démarche holiste et salutaire pour mieux cerner le monde d’aujourd’hui avec toute sa complexité physique au sens de de l’énergie, de l’information, de l’espace-temps et de la substance, ainsi que de sa diversité culturelle. Seule une harmonie avec la nature et un véritable dialogue avec les autres cultures et religions, pourra nous permettre de construire cette nouvelle ère de la Cosmodernité, basée sur un nouveau modèle de civilisation, et motivée par une unification de la connaissance en accord avec le mouvement global de la réalité.
Copyright©Férial BENACHOUR-HAIT./03/2014.Tous droits réservés
1Dans son mémoire de résidence au domaine de Chamarande en France. Juillet 2013.
2 D’un terme sanscrit signifiant montagne d’une hauteur merveilleuse. Dans la cosmologie bouddhique, ce mont immense, situé juste au centre du monde, est l’axe de révolution du soleil et de la lune.
3 Qui accueille une expoistion inédite de bibliothèque de Terre de l’artiste dans son Orangerie jusqu’au 11 Mai 201
4La Transdisciplinarité, Le manifeste. Basarab Nicolescu. Edition du Rocher. 1996.
5Dans sa conférence « Dialogue et transdisciplinarité » à l’UCP, Juin 2013.